CHAPITRE I | Parce qu’il faut un début à tout | 21.546 – 21.559
Les premiers pas dans ce qu’on appelle la vie n’ont rien de bien original dans la très grande majorité des cas, et Thorn ne fait pas exception à la règle. Un père, une mère, une naissance dans un cadre d’hôpital … Rien ne bien fou à l’horizon. Et la première année de sa vie ne va pas en s’arrangeant, qu’il soit nourri au sein ou au biberon, qu’il braille la nuit ou non, quelle importance. Non, le réel début de sa vie, c’est toujours à l’état de nourrisson, mais après que l’ordre Jedi soit passé par là. Naissance dans l’espace républicain oblige, les senseurs du temple n’auront pas fait exception au taux de midi-chloriens du très jeune métis, amenant une délégation Jedi jusqu’au palier de la porte du Foyer El-Kali. Difficile de savoir si le nourrisson a été arraché à sa famille, confié avec fierté ou tout autre cas de figure pouvant arriver dans ce genre de moments. Reste qu’après cette visite, une recrue potentielle supplémentaire venait figurer sur le registre de l’ordre millénaire Jedi, comme si le destin voulait s’immiscer là à grands coups de pied-de-biche. Futur forcé, quoi qu’inconnu de l’intéressé dans les quelques années qui ont suivi.
Ses premiers souvenirs datent des environs de ses trois ou quatre ans, affublé pour la cause d’une tenue traditionnelle Jedi au format réduit, déambulant dans les couloirs du temple Jedi d’Onderon au sein d’une délégation composée de camarades non vraiment plus âgés. Difficile de décrire la manière qu’ont les Jedi d’élever de très jeunes enfants, Thorn n’ayant réellement aucun souvenir de ses premières années au temple. Mais la formule se veut sans doute vieille et efficace, assez du moins pour que les réminiscences d’un passé aussi lointain puissent se vouloir, en toute bonne foi, agréables au possible. Si la sérénité se veut être un principe intrinsèque au bon maintien de l’ordre, elle semble également être un outil de qualité dans l’éducation des plus jeunes, leur offrant un cadre stable et propice aux aventures à venir. Et d’aventures il s’agit bien. Apprendre à se tenir debout, puis marcher. Se faire entendre, puis se faire comprendre. Prendre conscience de ce que l’on est, puis prendre conscience des autres. Apprendre à vivre reste une aventure, même élevé dans un cadre aussi mystique que celui entourant les mystères de la force. Et le jeune El-kali n’a jamais fait montre d’un trait particulier durant cette tendre enfance. Un petit être parmi les autres, n’offrant ni qualité ni défaut apparent, ni turbulent ni particulièrement sage. Comme une goutte dans l’océan. Et il en sera ainsi des années durant.
Mais chacun se veut différent, unique. Et ces traits tendent à se former dans les jeunes années d’une vie. On ne parle pas nécessairement de caractéristiques spéciales ou de détail dignes de légendes, non. On conçoit ses premières pensées, on commence à se comparer, on comprend que nos capacités ne sont pas les mêmes que celles des autres. Et dans un environnement aussi atypique que celui des Jedi, on apprend avant tout à comparer nos talents vis-à-vis de la force. Il n’aura pas fallu plus de quelques années à Thorn pour comprendre que son affinité avec ce
fluide cosmique n’avait rien pour faire envier ses camarades. Ses capacités d’apprentissage n’étaient pas des plus avancées non plus. Sans être particulièrement cancre, il ne se distinguait tout simplement pas. Oh, son talent n’était pas nul, mais se voulait loin de pouvoir rivaliser avec la haute moitié de sa classe. Un cadre pas vraiment des plus attractifs pour un jeune garçon perdu dans son rêve créé par les héros les plus illustres de son ordre. Difficile d’espérer encore devenir une légende de la galaxie, à l’image des histoires dont il aura été bercé toute son enfance, quand on est incapable de tenir la distance avec ses camarades dès les premiers pas sur cette voie.
Aussi, si l’aptitude fabuleuse n’était pas au rendez-vous, cette leçon aura appris à Thorn quelque chose d’au moins aussi important, qui le suivra pour le reste de sa vie ; le réalisme. La capacité de s’adapter, de se contenter de faire ce que l’on peut, comme on le peut, et trouver le petit détail qui pourrait faire la différence en laissant d’autres que lui trouver le chemin de ce petit chose qui fait les héros. Pas de légendes pour le petit homme, mais une voie non moins honorable pour autant. Ce pragmatisme, payé au prix de ses rêves de gosse, deviendrait son arme autant que faire se peut dans cette vie qui l’attendait. Une fatalité qui ne sera vue que pour ce qu’elle est ; un simple chemin vers la vie dans son ensemble, non un quelconque malheur ou malédiction. Il reste un enfant, loin, très loin de se préoccuper de visions aussi étouffantes.
La vie d’un apprenti Jedi au temple se veut être des plus simples, voire basique. Se lever, assister à des leçons de groupe, grandir, se coucher, tout recommencer. Personne n’attend de vous que vous vous distinguiez tout particulièrement. Aucun chevalier ou maître ne viendra vous épier à la recherche d’un Padawan. Pas encore. Les premières années restent consacrées à l’étude, à la découverte de votre sensibilité avec la force. À la découverte de vous-même, également. Et du monde avant tout. Pas dans les détails de son fonctionnement, mais dans ses interactions avec la vie. Cette même vie, au centre de tous les enneigements Jedi. On ne lui donne pas une valeur, on n’en parle pas davantage comme d’un trésor. La vie, c’est un équilibre, et c’est cet équilibre avant tout que les Jedi cherchent à protéger, à préserver. À chacun de trouver comment, à sa façon. Il n’existe pas de comportement particulier, de philosophie trop ancrée. Le temple Jedi vous apprend avant tout à devenir vous-même, sans vous oublier pour autant. Ce n’est pas parce que vous faites partie d’un tout que vous n’êtes pas unique, ne serait-ce que dans vos interactions quotidiennes. C’est un choix de formation que le jeune garçon a toujours réussi à apprécier, sans trop y réfléchir. Là où le monde voyait l’ordre Jedi comme une entité particulièrement étroite quant à ses enseignements, on pouvait aussi y voir une infinité de possibilités dans un cadre relativement souple.
Mais encore faut-il se donner les moyens de toucher du doigt ces possibilités. Il n’est plus à cacher que les aptitudes du jeune homme pour les voies mystiques se voulaient de plus en plus limitées. Là où ses camarades réussissaient à s’entourer efficacement de la force pour les leçons de Télékinésie ou autres applications pratiques, Thorn y trouvait quelques difficultés. Sans pour autant échouer, il gardait toujours ce petit train de retard, comme s’il lui manquait la formule que les autres avaient su trouver, ce raccourci vers des hauteurs plus avantageuses. Et plus le temps passait, plus ce retard prenait de l’importance. Le réalisme que le petit garçon s’était trouvé plus tôt ne se transformait pour autant pas en fatalisme. S’il éprouvait un certain regret à ne savoir se hisser au niveau de ses pairs, il ne s’abandonnait pas facilement pour autant. Quelques contrariétés dans l’usage de la force ? Qu’à cela ne tienne, rattrapons cette lenteur par un entraînement physique plus intensif, et une lecture plus approfondie des leçons vues. La flamme brûlante de l’envie de réussir ne s’échappait peut-être pas de ses iris comme la lumière d’un sabre laser dans la brume, mais ses efforts n’en restaient pas moins épatants pour un tel cadet.
Au fond de lui, Thorn pouvait sentir l’appel de la force, mais de façon bien plus sourde et diffuse que la majorité de ses camarades. Il pouvait sentir, sans toutefois réellement le comprendre, que ses capacités venaient d’un petit peu plus loin, comme si elles lui étaient partiellement cachées pour le moment. Ce que les efforts ne sauraient dévoiler, peut-être le temps le fera, se disait-il. Aussi ne jalousait-il pas ses pairs, même alors que leur âge s’avançait vers la première décennie, et que ses premiers compagnons trouvaient un maître Jedi, quittant la formation de groupe pour un apprentissage plus intime dans les voies de la force. Le rêve de tout apprenti, en somme. Être choisi par un membre de l’ordre confirmé pour atteindre les plus hautes sphères mystiques. Former une relation de maître à élève sur de longues années, jusqu’à à son tour devenir Chevalier et prendre un apprenti sous son aile. Sans parler des maîtres les plus illustres, devenir un jour Chevalier Jedi restait le rêve de chaque petit être au temple, ce même quand l’ordre millénaire ne brillait pas du même éclat que par le passé. Car en dehors des murs du temple d’Ondéron, les Jedi n’étaient plus vus par la majorité comme de grands défenseurs de la paix. Leurs détracteurs se faisaient chaque jour plus nombreux, et la situation ne semblait pas aller en s’arrangeant. Mais la politique est un monde d’adultes, hors de question de se perdre dans ce genre de pensées à cet instant.
Le temps passe toujours, n’offrant toujours aucune opportunité pour Thorn. Aller sur sa douzième année et n’être toujours qu’un apprenti, ne pouvant prétendre au titre de Padawan ? Certains y auraient ressenti une grande honte. Mais le garçon comprenait que ses talents ne rivalisaient pas, en terme de potentiel, avec les autres apprentis de son âge, voire légèrement plus jeunes. Il n’en était pas non plus au point d’être dépourvu de toutes capacités. Ne restait qu’à taper dans l’œil d’un chevalier, ou attendre que le conseil Jedi décide quoi faire de son sort. Il se savait cependant trop avancé dans sa formation pour que l’ordre pense à se séparer de lui. Il existait un frein certain à son évolution, et il ne tenait qu’à lui de le découvrir. Sans perdre espoir, sans même perdre ce petit sourire, réponse à ses aspirations. Les voies de la force sont impénétrables, même si un petit coup de pouce du destin n’aurait pas été de trop, pensait-il. Et le destin ne tarda pas à répondre, comme une gifle sur le nez d’un jeune homme perdu dans ses pensées.
Sith. S’il existe un mot à associer à ce que la galaxie peut engendrer de pire, quatre lettres peuvent après tout suffire. Les Sith sont tout ce qu’un Jedi ne doit jamais devenir, même si leurs racines ne sont, d’un point de vue extérieur, pas tant éloignées. Le Sith est l’ennemi naturel du Jedi. Suppôt du côté Obscur, dédaignant la vie au profit du désir, se nourrissant du chaos, de la douleur et de la mort. Son nom est synonyme de calamité, et Thorn n’allait pas tarder à le découvrir. Jusqu’ici en sommeil, le côté Obscur le plus pur s’est finalement manifesté, en l’année 21.559, d’une façon que lui seul sait faire. Rapide. Brutal. Chaotique. Les mots dont on pourrait qualifier l’attaque du temple Jedi d’Onderon par l’ordre Sith sont légion, mais en aucun cas empreints de sympathie. Impossible de se remémorer précisément tous les évènements de ce jour-là. Pour Thorn, tout s’est passé en un éclair, et il fut bien incapable de réagir d’une quelconque façon. Les sols et murs de sa maison étaient tapissés de crasse, de sueur et de sang. De nombreux visages qu’il avait côtoyé toutes ces années jonchaient le sol, sans vie. Plus que sa maison, son temple, c’est sa vie qui s’écroulait devant ses yeux. Une pierre s’arracha finalement du plafond pour venir le frapper sur le sommet du crâne, laissant sa vision s’obscurcir sur l’un des pires tableaux qu’il lui ait été donné de voir.
Son réveil ne fut pas des plus faciles. Comprendre ce qu’il venait de se passer ne l’était pas davantage. Ce qu’il voyait devant lui n’était ni plus ni moins qu’un massacre. Qui, quoi, comment ; ces questions n’étaient pas importantes, et il était bien incapable de pouvoir y répondre, quand bien même il l’aurait souhaité. Il n’était pas un Jedi à proprement parler, et ne pouvait de fait prétendre à la compréhension générale de cet ordre. Il ne pouvait se rendre compte que de ce qu’il comprenait. Certains de ses anciens camarades, maintenant Padawans, manquaient à l’appel. Ils n’étaient décomptés parmi les morts, mais restaient manquants. Il ne fallut guère longtemps pour apprendre leur rapt par les forces Sith. Et il n’y pouvait rien y faire.
Les semaines et mois suivants n’auront pas été des plus simples pour Thorn. Il avait toujours vécu dans un relatif confort, loin des conflits et des prises de conscience.
Sith n’avait jamais été que le spectre d’une menace inexistante, à l’image d’un fantôme caché sous le lit. Se rendre ainsi compte de la dureté de la galaxie s’était vu être un choc puissant. Mais pour lui, ce n’était pas le plus important. Au fond de lui était né quelque chose, qui n’avait rien à voir avec la peur. Cachée au fond de son cœur, ne se l’avouant qu’à peine lui-même, était née une petite jalousie. Il se savait en deçà de ses pairs, il se connaissait un potentiel limité. Mais allant jusqu’au dédain des Sith, qui ne s’étaient donné la peine de le prendre avec les autres ? Vraiment ? Valait-il si peu ? Bien sûr, à la simple évocation mentale de cette idée, il l’avait balayé d’un geste, satisfait ne pas faire partie du bilan des victimes. Mais malgré lui, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait même été snobé par l’engeance, et parmi la pire qui soit. Un coup au moral ayant réussi à lui faire serrer le poing si fort qu’il s’en blessa le creux de la main, gratté par ses ongles. Un frisson, puis une vibration parcourut son corps, jusque son poing fermé d’où s’échappait une petite gouttelette de sang. Une faible lueur azur attira le regard vide du jeune homme vers sa main, pour y découvrir, l’espace d’un instant, un petit arc électrique.
CHAPITRE II | La vie de Jedi | 21.559 – 21.564
Les mois suivant l’attaque du temple avaient été des plus compliqués pour l’ordre Jedi dans son ensemble. La politique jouait son rôle avec la délicatesse ordinairement accordée aux brutes. Le gouvernement d’Onderon ne se voulait pas des plus tendres, et toute la galaxie semblait pointer du doigt les protecteurs de la galaxie comme une engeance source de tous les maux. Peut-être trop jeune, ou peut-être tout simplement pas encore suffisamment incorporé au sein de l’ordre, Thorn ne se sentait que peu visé par le chaos entourant le statut des Jedi. Que pouvait-il y faire, dans tous les cas ? Vivre sa vie dans la mesure du possible et tenter de remettre un peu d’ordre dans le temple en attendant de recevoir de nouvelles instructions semblaient être ses seuls choix possibles ; des êtres bien plus sages que lui prendraient en charge les retombées de l’incident. Aussi se sentait-il à nouveau dans cette désagréable position d’attente. Sa formation globale semblait rencontrer ses limites, et aucun maître ne s’était encore proposé de le prendre en charge. Comment leur en vouloir ? Les temps se voulaient plus que difficiles pour tout le monde – prendre son mal en patience était plus que jamais nécessaire. L’attente n’est une mauvaise chose que pour les impatients. Le jeune homme n’a jamais été l’un d’eux, et se contentait de croire qu’un jour viendrait son tour, d’une façon ou d’une autre. Il n’était pas même décisionnaire du cours de sa vie, à quoi bon lutter ? La patience était la seule alliée à offrir son secours lors de ce genre d’épreuves. Et parfois, elle est récompensée.
Les hautes sphères Jedi n’oublient jamais leurs jeunes recrues. Si un jeune ne dispose que de trop peu de talent pour continuer une formation plus pointue, qu’à cela ne tienne, ils lui trouveront bien un rôle à jouer, fut-ce en dehors de l’ordre. Pour les autres apprentis, ayant joué de malchance ou s’handicapant de traits spécifiques compliqués, d’autres mesures étaient prises. Et si aucun maître ne vient à l’encontre d’un apprenti, les paires sont ainsi désignées par le Conseil. Certes, Thorn n’a jamais particulièrement brillé de quelque façon que ce soit, mais n’était-ce pas à la limite de la cruauté de lui interdire l’accès au titre de Padawan alors même qu’il s’approchait de sa quatorzième année ? Le retard qu’il se reprochait lui-même n’allait certainement pas en s’arrangeant, et aussi patient soit-il, quelques doutes commençaient à prendre forme. Jusqu’à sa rencontre avec Alys Ryden, une humaine de plus de deux fois son âge. Les mots manquaient au jeune homme pour décrire un tel chevalier, tant elle paraissait à la fois tout et son contraire. Des orteils aux cheveux, tous les fibres de son corps laissaient à penser à la douceur incarnée, et pourtant, les traits de son visage se contractaient en une grimace, un rictus dur et affligeant. Son regard était à la limite du vide, ses bajoues s’étiraient toujours plus vers son menton à mesure que sa mâchoire se crispait. Ses lèvres se resserraient en un pincement, comme pour indiquer subtilement son refus de trop parler. Une affliction jusque dans sa démarche, excessivement lourde, comme si elle portait le poids du monde sur ses épaules.
Si elle n’était si ancrée dans les préceptes Jedi, Alys serait une femme brisée. Il n’aura pas fallu plus de quelques jours à Thorn pour découvrir qu’elle était le précédent maître d’un Padawan ayant donné sa vie à la défense du temple lors de l’assaut Sith. À peine quelques mois après ces évènements, le conseil Jedi avait jugé bon de lui confier l’apprenti El-kali, comme en remplacement d’un élève avec qui elle n’avait dû que trop se lier, à en juger par son expression. Sans aller jusqu’au dégout, on pouvait deviner sa pensée profonde. Perdre son élève aura été l’épreuve la plus compliquée de sa vie, et on lui forçait à présent la main en lui présentant un nouvel apprenti. Son devoir prenait le pas sur les sentiments qu’elle se devait de réprimer, mais accepter une situation n’est pas pour autant l’embrasser pleinement. C’est quasiment à contrecœur qu’elle se présenta comme futur maitre à ce petit bout d’homme, remerciant inconsciemment la force qu’il soit assez réceptif à sa situation pour ne pas s’en réjouir ouvertement. Et en effet, le jeune homme était beaucoup trop poli pour afficher pleinement son ressentiment. S’il était bel et bien content d’avoir enfin la chance de se voir procurer les outils de la voie Jedi, il était en revanche beaucoup moins serein quant au cadre dans lequel il se voulait à présent forcé d’évoluer. Son réalisme passé, devenu à présent un véritable outil de compréhension du monde l’entourant, se trouvait être particulièrement adapté à ce genre de circonstances. Loi du destin, ou bonne interprétation de la hiérarchie de l’ordre ? Difficile de décider d’une réponse.
Enfin Padawan mais ne disposant que de trop peu de temps pour s’en réjouir. Sa formation était assez éloignée de ce qu’il s’était imaginé toutes ces années. Il pouvait sentir que le type d’enseignement d’Alys ne lui était pas naturel, mais laissait ses pensées pour lui pour absorber tout ce qui lui était possible d’apprendre. Son maître semblait passer autant de temps à dresser des barrières entre eux qu’à créer un lien de professeur à étudiant. Ce petit équilibre, précaire, maladroit, rassurait toutefois le jeune homme. On ne l’avait pas balancé dans les bras d’un quidam et il ne devait, du coup, pas se coltiner la présence d’un attachement auquel il se serait senti incapable de répondre. Son maître semblait se contenter de n’en avoir que le nom. Peut-être se rapprocher d’un nouveau Padawan serait une épreuve encore trop difficile à son goût. Thorn n’était pas juge, il se voulait capable de s’adapter à toutes choses en tous temps, ce qui n’était pas pour le déplaisir d’Alys.
Le temps passe ainsi. Jour, semaines et mois tendent à se ressembler. Des leçons personnelles mais dominées par cette distance entre les deux impliqués. Le jeune Jedi avait bien compris qu’il ne serait sans doute jamais réellement considéré comme le Padawan du chevalier Ryden, mais ne lui en voulait pas pour autant. À sa place, comment aurait-il réagi, lui ? Il avait pu apprendre avec ses seuls yeux l’importance des interactions empathiques. Les paires maître-apprenti qu’il avait croisé jusqu’ici semblaient se comprendre au-delà des mots, pour la majorité ; et s’il avait toujours considéré ce lien comme bénéfique pour la majorité des Jedi, il se savait aussi peu réceptif à ce genre de fantaisies. Étrangement, Alys était - à sa façon – le genre de précepteur idéal pour quelqu’un d’aussi terre-à-terre. Le pragmatisme dont il faisait preuve l’empêchait de chercher à avoir plus, et en aucun cas il ne s’était résigné à se
contenter de ce qu’il recevait.
La distance explicitement indiquée par le chevalier se transcrivait également hors du temple. Les Jedi sont amenés à effectuer nombre de missions de maintien de la paix, aussi critiqués puissent-ils être en des temps troublés. Ces missions sont le plus souvent remplies par un maître et son apprenti, qui apprend de fait au contact du reste de la galaxie. Pour lu duo Ryden et El-kali il n’en allait pas autrement, à ceci près que l’apprenti se voulait écarté de la moindre sortie pouvant représenter un danger que le maître aura jugé trop important. Approximativement une fois sur deux le jeune aspirant se retrouvait seul au temple, condamné à répéter les exercices connus en attendant le retour de son éducateur. Mais tout ne se voulait pas noir pour autant. Le
blocage qu’il ressentait depuis des années dans sa compréhension de la force ne s’était jamais résolu, qu’importe l’implication de son maître. Il était voué à laisser le temps au temps, et profitait des absences de son binôme pour renforcer sa constitution physique. À défaut de pouvoir prétendre au titre de sage, peut-être la voie des bretteurs s’imposait-elle.
En dehors des murs, la galaxie gronde. Les Jedi sont de plus en plus hués, leurs actions condamnées au gré du temps. En 21.562, le sénat déploie un plan de répression de l’ordre ancestral, qui voit son temple principal envahi par les mouvements du sénat. Plus qu’un coup politique, il s’agit là d’un réel besoin de renforcer la sécurité de la république. Thorn, jusqu’ici extérieur à toute cette folie, voit sa maison piétinée par des décrets gouvernementaux. Son maître ne semblant guère y prêter plus d’attention, le jeune homme décide à son tour de prendre son mal en patience et de continuer à vivre comme si de rien n’était, privilégiant sa formation avant toute autre chose. Au gré de leurs échanges, Thorn comprend cependant. L’ordre Sith fait office de croque-mitaine. Du point de vue de la galaxie, il n’y a aucune différence entre un utilisateur de la force et un autre, et la fourberie du côté obscur l’empêche d’être perçu au grand jour. Même l’attaque du temple, à peine quelques années plus tôt, était perçue à l’échelle de la galaxie comme des soucis internes à l’ordre Jedi. Les briques s’empilent les unes sur les autres, et enfin le jeune Padawan commence à comprendre les interactions du monde de la force.
À peine un an plus tard, la complicité des Sith se veut enfin dévoilée. Les jeux politiques se mettent en branle et le Chancelier s’en trouve destitué. La mise sous tutelle de l’ordre Jedi est levée, et enfin le temple d’Ondéron peut se remettre à respirer, loin des manigances. Ni Thorn ni son maitre ne bronchent cependant. Cela aura été quelques mois réellement étranges, mais la décision de se forcer à n’y prêter aucune grande attention aura finalement été payante. Du moins le pensaient-ils, mais les manigances du côté obscur se veulent toujours aussi floues qu’implacables. Et l’ordre, ne se pensant en aucun cas à l’abri de ces intrigues, décidait d’un plan d’envergure. Porté contre son gré par les vents et remous de la galaxie, Thorn se retrouve, avec nombre d’autres Padawans, embarqué sur un vaisseau pour échapper à Ondéron, potentielle cible d’une nouvelle attaque des sombres suppôts. Éloigné de son maître et au centre d’un cadre prévu pour tout sauf l’entraînement et la méditation, le jeune homme ne savait guère que penser de tout ça.
Difficile de relater les évènements succédant l’embarquement dans le vaisseau. De tous les choix possibles, réunir l’ensemble de la nouvelle génération Jedi sur un seul bâtiment semblait être l’un des pires ; mais les voies de la force, une nouvelle fois, restent impénétrables. La véracité de cet argument ne tarda pas à se faire sentir, alors que l’ordre Sith, jusqu’ici vaguement silencieux, tenta un abordage audacieux et dévastateur. Thorn et nombre de ses camarades étaient une nouvelle fois la cible du côté obscur et de sa lame écarlate. Ses pensées sombrèrent dans un chaos total, sa gorge compressée par l’appréhension de ce que l’avenir lui réservait. Devant d’aussi pessimistes augures, comment réussir à se dresser le cœur vaillant ? De cet évènement, il ne se souviendra que de quelques bribes d’images, confuses et désordonnées, comme s’il avait cherché à se débarrasser de tourments désagréables. Cet épisode catastrophe connu heureusement une fin plus heureuse que ce que les augures avaient annoncé. Les Jedi sortirent victorieux - à un certain prix - de cet affrontement et l’histoire galactique prit un nouveau tournant. Pendant que les hautes sphères politiques se perdaient à se consumer d’intrigues toutes plus folles que les autres, le jeune Padawan se contentait d’être reconnaissant d’avoir toujours la vie sauve.
CHAPITRE III | Choisir sa voie | 21.564 – 21.569
Heureusement, l’avenir se prêtait des airs de changement. La république, dont le chancelier était voué aux mêmes arts mystiques que l’ordre offrit à celui-ci de se rétablir à la capitale, le centre de la civilisation tel que la galaxie la connait. L’ancien temple Jedi rouvrit ses portes, et le conseil Jedi y restitua de fait ses quartiers. Alys semblait vouloir de ce changement, et Thorn n’avait aucune remarque à répondre à ce déménagement. Si Onderon aura été son foyer durant plus d’une quinzaine d’années, Coruscant deviendrait peut-être le lieu du renouveau. Et pourquoi pas commencer par la clef du déblocage de ses pouvoirs latents, qu’il pouvait sentir au fond de lui depuis tout ce temps. Si le hasard fait les choses, il a une certaine tendance à le faire plutôt bien pour le jeune homme. Les séquelles de l’attaque Sith s’étendaient aussi bien sur le psychique que le physique ; la naissance d’émotions jusqu’alors évitées, et cette peur dont il fallait se mettre en garde selon le code Jedi. Cette même peur qui lui avait valu de s’ouvrir à la force comme on enfonce une porte d’un coup d’épaule. Cette peur qui, dans l’ironie de la situation, lui offrait un talent dans un domaine spécifique de la force, et non des moindres ; la voie de la guérison.
C’était arrivé plus vite qu’il n’en faut pour le dire. Alors aidant dans la limite de ses capacités le rétablissement de l’Ordre sur sa planète mère - et plus précisément en tant que main d’œuvre à l’infirmerie - Thorn fut en charge des soins secondaires, un travail non réellement gratifiant visant pour la plupart du temps à changer les bandages ou retirer les échardes de quelques orteils malheureux. Il aura fallu un moment avant de comprendre que le jeune Padawan soignait des patients sans s’en rendre véritablement compte. C’était diffus, lointain. Une légère atténuation de la douleur, une petite accélération de la guérison naturelle. Si c’en était resté là, peut-être personne n’en aurait pris conscience avant un moment. Mais les lois de la Force, encore une fois … Conduisirent le jeune Jedi à aider lors d’une opération bien plus délicate. Assistant de fortune, faute de personnel plus qualifié dans l’urgence, plutôt. Les guérisseurs n’avaient besoin de lui que pour tenir fermement un patient le temps d’une opération rapide bien qu’urgente. Qui aurait pu deviner alors que l’état de folie du patient lui ferait balancer le jeune homme à travers le brancard, tête la première sur les instruments technologiques ? Qui aurait osé prétendre que, loin de se contenter d’en ressortir sain et sauf, Thorn en profiterait pour relayer l’énergie des dits instruments à travers son corps vers la blessure ouverte du patient ? Enfin, quel prodige aurait pu prédire la cicatrisation avancée et quasi instantanée d’une blessure proche d’être fatale ?
Les guérisseurs Jedi n’étaient pas rares en soit, mais le savoir derrière ces pratiques s’était toujours voulu relativement flou, presque général. La formation commune se donnait des airs de premier secours, rien de suffisant pour faire naître une vocation. Des miracles comme celui-ci n’étaient pas uniques non plus, mais on comprenait toujours difficilement les moyens à mettre en œuvre pour arriver à un tel résultat. Il était désormais acté que le pouvoir démontré par Thorn ne tenait pas du prodige, même si ses compétences gagnaient un certain respect dans ce domaine. La façon extrêmement dangereuse et farfelue qui lui avait valu de faire montre d’une telle compétence n’aidait en rien, même si personne n’aurait remis en cause la possibilité que le jeune Padawan soit fait pour la voie de la médecine Jedi. Une aubaine pour le jeune homme, avec du recul. Lui qui n’avait jamais particulièrement brillé parmi ses pairs se voyait enfin doté de ce petit quelque chose. Enfin, il avait la possibilité de trouver sa voie autrement que dans la médiocrité.
Son maitre ne semblait pas avoir grand-chose à y penser pour autant. Elle continuait d’aller et venir, enchaînant les leçons comme elle l’avait toujours fait jusqu’ici, s’en allant de temps en temps au gré des missions confiées, prenant seulement parfois le jeune adulte avec elle. Sa nature surprotectrice restait un véritable frein pour le Padawan, et si tous deux s’en rendaient compte, ils n’en disaient pourtant rien. Thorn disposait d’assez de temps libre pour espérer percer les secrets de ses nouveaux pouvoirs. La voie du guérisseur ne ressemblait en rien à ce qu’il s’était imaginé toutes ces années, mais son désir de devenir quelqu’un s’était éteint il y a longtemps déjà. Se contenter de faire ce que l’on peut comme on le peut se voulait être un leitmotiv beaucoup plus réaliste, beaucoup plus terre-à-terre, beaucoup plus propre à sa conception des choses. Dans une Galaxie vivant le retour officiel de l’Empire Sith, il fallait bien trouver une occupation assez forte pour se détourner de la complexité politique vue d’un œil extérieur. Contrôler, approfondir et user de la Force pour soulager semblait être une réponse plus que convenable aux échos menaçants du monde.
Et ce qu’importe les doutes que le jeune homme pouvait nourrir vis-à-vis des ancestraux protecteurs de la paix, bien trop inactifs. La chimère Sith s’était trouvée une forme concrète, et
l’empire concrétisait son rêve de domination avec célérité et implacabilité. Soient-ils concédés via diplomatie, ils n’en restaient pas moins des territoires importants, offerts sur un plateau comme autant d’offrandes à l’incarnation du mal pour s’en protéger. Une république de pleutres, aidée par un ordre de protecteurs ne sachant se protéger lui-même, voilà une combinaison dangereuse et un camp qu’il ne fait pas bon de représenter. Mais qu’est-ce qu’un petit Padawan peut bien y faire ? Il était resté extérieur à toute agitation autant que possible jusque-là, pourquoi ne pas continuer encore un peu ?
Le temps passe. L’empire Sith freine son expansion par une paix inattendue, pourtant bienvenue. Les blessés n’avaient pas besoin de la guerre pour s’entasser à l’infirmerie, augmentant d’autant la charge du travail du Padawan. Ses capacités de guérison auront connu une avancée sans précédent dans sa carrière, et avec elles son potentiel en général. Il gardait ce sentiment d’avoir plus accompli en quelques mois que tout ce que les années précédentes avaient pu lui apporter. Sa puissance s’accroissant, il développa même une certaine arrogance. Le prix des puissants, en un sens. Toute sa vie il se sera vu comme la cinquième roue du carrosse, l’apprenti à peine assez talentueux pour garder une place au sein de l’ordre. Maintenant, même s’il n’avait toujours réellement rien accompli, il se sentait capable de tout. De bien plus que ce à quoi il se voulait cantonné, du moins, même s’il n’en disait rien.
Les choses s’amélioraient, pour sûr. Sa relation avec Alys, gagnait en respect mutuel à défaut de se doter de ce lien unique entre maître et élève. Ils n’étaient plus coincés l’un avec l’autre, ils avaient accepté l’idée que ce binôme pouvait fonctionner, envers et contre tout. Petit à petit, la protection du maître débridait la laisse de l’apprenti qui ne se privait pas de gagner ce qu’il pouvait d’expérience, ce quel que soit le domaine. La paix toute relative avec l’Empire Sith empêchait ultimement la galaxie de sombrer dans la guerre, mais s’y préparer se voulait être un luxe inespéré. Plus qu’un infirmier de fortune, Thorn se devait avant tout d’être un Jedi, et de fait pouvoir offrir un rempart de choix pour la république. Un lot peu enviable, d’autant plus pour un jeune homme éprouvant plus d’un doute quant au fait de se voir protecteur d’un régime qu’il condamnait. Il comprenait la nécessité de la paix, mais n’était pas prêt pour autant à pardonner les instigateurs d’évènements ayant mis en avant sa couardise. Chaque jour passant, il se questionnait quant à son envie de demeurer fidèle serviteur de cette république, et par extension, de l’ordre Jedi.
Des pensées qui ne tarderaient pas à s’intensifier. En 21.569, l’escalade en était venue à un point de non-retour. Les détails se voulaient flous. Un nouveau chancelier, un nouvel assaut. L’ordre Jedi n’avait été concerté pour la guerre, mais offrait toujours son concours dès que la république se sentait en danger. La
bataille de Dubrillion faisait partie de ces évènements nés sur un coup de tête dont les conséquences ne valaient pas les avantages, loin s’en faut. Et pour le jeune Padawan d’autant moins. Quelques semaines plus tôt, il était éventuellement question d’épreuves et de passage au titre de Chevalier. Maître Ryden ne s’était levée en opposition à cet avancement, ce qui suffisait au jeune homme à penser qu’elle acceptait enfin ses capacités. Une jubilation de bien courte durée. Alys Ryden allait rencontrer sa fin au sein d’un délégation Jedi à ladite bataille de Dubrillion. L’ordre s’était juste jeté à l’aide de la république, sans prendre en compte plus avant le coté hautement tête brûlée de l’opération.
Pour Thorn, c’était un évènement synonyme de fin de course. Plus que d’avoir tout donné à l’Ordre, il aurait été plus juste de dire qu’il n’a jamais rien reçu. Sa vie était entièrement dévouée aux mystiques de la force depuis bien avant son premier souvenir et il n’en s’en sortait que moyennement. Ses vingt ans étaient dépassés de quelques petites années, il était toujours Padawan, et qu’importe ce qu’il pouvait dire ou faire, il savait que l’ordre ne serait jamais qu’un cocon. Protecteur, certes, mais encombrant. Le décès de son maître sonnait comme un dernier point d’attache dissipé, le cocon se voulait finalement n’être qu’une chaîne. Sa confiance envers les Jedi, bâtie par l’ordre lui-même, s’écroulait simplement. Ne restait qu’une vie de rêves fatigués, rompus ; tout ce qu’un aspirant au titre de chevalier ne saurait être. La volonté de prendre la place d’Alys et vivre en son nom ne lui aura pas même effleuré l’esprit.
Que ce soit considéré comme un coup de tête ou non, le fait de s’être présenté devant le conseil Jedi pour y donner sa démission n’en restait pas moins effectif. Tel qu’il l’imaginait, les membres du Conseil ne se sont guères empressés de l’en dissuader. Thorn n’était ni le premier, ni le dernier à penser sa voie hors de l’ordre en ces temps troublés, et la galaxie se prêtait des airs de chaos bien plus inquiétants que la démission d’un disciple. Entre une république incapable de garder un chancelier plus de quelques années et un empire Sith jouant ses coups dans l’ombre, ne manquait qu’une menace extérieure, apparemment campée par une conspiration Hutt en l’instant. Les priorités de l’ordre millénaire étaient telles que la défection d’un simple Padawan ne constituait aucun grand intérêt. Un point que le jeune homme gardera dans son cœur comme une dernière offense, considérant définitivement son choix comme étant le bon. Ne restait qu’à faire ses premiers pas indépendants dans un univers mouvementé.